jeudi 24 novembre 2016

Les Lettres persanes en Trégor (2)

En 1721 parurent les Lettres persanes, un roman épistolaire sur les pérégrinations d'Usbek et Rica, deux Perses en voyage en Europe. Alors que nous apprenions la venue à Trégastel et Trébeurden d'une cinquantaine de réfugiés de Calais, Christian Barbeau, de Pleumeur-Bodou s'est souvenu de ce monument de la littérature. Nous publions son pastiche aussi régulièrement que la malle postale nous le permet.

> Relire la première lettre.

Lettre II. Rustan à Usbek

Tu es le sujet de toutes les conversations d’Ispahan ; on ne parle que de ton départ. Les uns l’attribuent à une légèreté d’esprit, les autres à quelque chagrin : tes amis seuls te défendent, et
ils ne persuadent personne.
On ne peut comprendre que tu puisses quitter tes femmes, tes parents, tes amis, ta patrie, pour aller dans des climats inconnus aux Persans, en Bretagne. La mère de Rica est inconsolable ; elle te demande son fils, que tu lui as, dit-elle, enlevé.
Pour moi, mon cher Usbek, je me sens naturellement porté à approuver tout ce que tu fais : mais je ne saurais te pardonner ton absence ; et, quelques raisons que tu m’en puisses donner, mon cœur ne les goûtera jamais. Adieu. Aime-moi toujours.

D’Ispahan, le 28 de la lune de rebiab 1,2016

Rustan
c.barbeau

Lettre III. Usbek à son ami Rustan

Ta lettre m’a été rendue à Trébeurden, où je suis. Je m’étais bien douté que mon départ ferait du bruit ; je ne m’en suis point mis en peine. Que veux-tu que je suive ? la prudence de mes ennemis, ou la mienne ?
Dis à la mère de Rica, qu’il s’est endormi dans mes bras quand nous tentions d’atteindre les côtes de Sicile. Je passe de nombreuses heures à regarder l’océan, et à le prier de nous le rendre, et sa tendre jeunesse et sa vertu.
Ne croyez pas les discours des passeurs. Ce n’est pas un pays riche et puissant. Tous les jours des vieillards doivent quitter le port pour pêcher quelques poissons. Ils ont l’expérience sur la mer, et l’habileté dans la manœuvre. Leurs enfants ne les nourrissent donc pas, alors qu’ils semblent heureux de partager avec nous, qui ne connaissons ni leur langue ni leurs coûtumes quelque fretin et un sourire?
Mais je ne dois pas oublier, Rustan, le véritable motif de mon voyage.
Laisse parler Ispahan ; ne me défends que devant ceux qui m’aiment. Laisse à mes ennemis leurs interprétations malignes : je suis trop heureux que ce soit le seul mal qu’ils me puissent faire.
On parle de moi à présent : peut-être ne serai-je que trop oublié, et que mes amis... Non, Rustan, je ne veux point me livrer à cette triste pensée : je leur serai toujours cher ; je compte sur leur fidélité, comme sur la tienne.

De Trébeurden, le 20 de la lune de gemmadi 2, 2016-11- 17

Usbek
c.barbeau

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